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Le Sirop du Serpent
18 septembre 2012

Le Baldaquin - Episode 4

4. La première rencontre est une malédiction

          Ah, la magie de la première rencontre, les premiers mots partagés, les premiers regards échangés ! On a tous connu ces instants fugaces et pourtant éternels à nos cœurs où, au détour d’un clin d’œil, au croisement d’un sourire simultané, à la jonction des cœurs qui se rapprochent sans encore oser se le dire, naît cette petite lueur fugitive et fragile de l’amour naissant. Il suffit d’un rien, d’un hasard, d’un accident, d’une résolution soudaine, pour que la première étincelle soit lancée sur le ballot desséché des esprits prêts à s’émouvoir.

          Je l’avais connu une fois ou deux, sur ce mode de magie là, cet instant ensorcelant de la première entrevue ; et dans le récit qui nous occupe, avant que tout cela ne vire au cauchemar, il y a eu cette histoire d’amour manquée, cette rencontre douce et crépitante, ce tourbillon diaphane qui tourmente délicatement le cœur. Avant que de mourir sur un baldaquin, j’ai cru un instant avoir croisé le masque de l’amour ; la mort sait parfois se parer de touchants atours…

          J’ai longtemps pensé que tout cela avait commencé au musée. J’avais entamé une journée de repos dans mon bar habituel avec deux grands cafés noirs et quelques nouvelles à lire, avant de me résoudre à aller poser ma bonne conscience cultureuse sur une exposition temporaire qu’il était socialement indispensable d’avoir vu. Et je déambulais là dans les salles blanches au milieu d’un agrégat délirant de concepts contemporains et condescendants, déjà-vus et d’une banalité qui n’avait d’égal que la crasse facilité de la provocation gratuite et facile de leur démarche : la première chose que l’on apprend aux jeunes artistes, c’est à être de bons commerciaux ; et ils savent vendre des concepts y’a pas à dire. Autant dire que je me faisais chier dans tout ce fatras intello branchouille et putassier, et que, comme je ne sais pas mentir, ça devait se facilement se sentir. C’est à ce moment là que les choses avaient commencé, et de la plus douce manière :

          « Le gars a été fort pour refourguer cette daube insensible et prétentieuse ; mais faut dire que c’est facile : les élus qui ont payé pour ça n’ont généralement aucun goût ni bon sens… »

          Stupeur.

          Je décale aussitôt mon regard sur la droite, là d’où m’était parvenu ce son doux et harmonieux dont le propos flattait si bien mes oreilles et mon humeur.

          En tournant mon visage, mon nez effleure quelques boucles vénitiennes veloutées et timidement parfumées, et je découvre tout près de moi des joues claires et rougies par l’hiver, chahutées ça et là par des taches de rousseur éparses comme autant d’étoiles d’or. Des yeux intenses me fixent avec une complicité évidente, mais sans vulgarité, sans provocation : juste un profond sentiment de connivence et de sérénité.

          Elle venait de murmurer cette phrase à mon oreille, sans que je la sente s’approcher, me laissant tout entier à ma surprise, au plaisir de l’entendre, à la joie de la découvrir.

          Alors je concentre toute mon âme ébahie à lui fournir une réponse au niveau de la belle impression qu’elle vient de me faire, mais elle commence à rougir, et je comprends qu’elle a rassemblé tout son courage, sans doute quelques minutes durant, pour venir m’aborder ainsi. Et que là, elle se sent gênée, surprise d’avoir trouvé en elle le courage d’oser ce geste charmant, mais ne sait plus quoi faire. Au moment où une syllabe enfin se dessine sur ma bouche prête à lui répondre, elle me livre le plus large sourire que son mal à l’aise lui permet, et, baissant la tête sans oser à nouveau me fixer, me souhaite une bonne journée en tournant les talons d’un pas hâtif. Et de sortir de la pièce en me laissant tout entier à mon désarroi, à ma déception aussi, sans doute. Jusqu’à ma mort, j’ai cru que c’était à cet instant que l’histoire avait commencé.

          Je comprends désormais que cette première rencontre n'en était pas une, mais il y avait de quoi ferrer mon coeur  et mon âme à cette belle ligne !

          Les dés  avaient déjà été jetés depuis longtemps, mais cette fraction d’immortalité où elle souffla quelques mots à mon intention et où je découvris son visage, j’y ai cru, intensément, passionnément. Et sans ce moment là, sans doute serais-je aujourd’hui moins déçu de la suite funeste des évènements : les premières rencontres ne sont que des cathédrales de fausses promesses.

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  • Tristan Lazare - Des petits rien et un peu de tout, pour l'incandescence des jours, le souffle ample des instants, la respiration de la houle sur les rochers, et le givre qui prend les herbes à la surprise d'un caprice de novembre.
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